BREF HISTORIQUE
C’est en 2002 que la Chaire voit le jour grâce à l’appui financier de la Fondation CFER (Centres de formation en entreprise et récupération) et de la Fondation Lucie et André Chagnon. Le premier mandat, sous l’appellation « Chaire de recherche CFER : une stratégie d’excellence pour la réussite scolaire et le développement durable », a permis d’étudier des modèles novateurs de gestion scolaire, de soutenir de nouvelles pratiques pédagogiques, et de comprendre les défis associés à la formation professionnelle et à l’insertion socioprofessionnelle des jeunes ayant des difficultés d’apprentissage et d’adaptation.
La création de cette chaire fut largement influencée par les préoccupations pédagogiques et sociétales de Normand Maurice (1946-2004), l’un des fondateurs du Réseau québécois des CFER. On reconnaît à ce dernier un apport considérable sur le développement d’une pédagogie adaptée aux besoins des élèves laissés pour compte du système scolaire.
En cohérence avec les croyances de Normand Maurice, croyances partagées par les chercheurs de la Chaire, le deuxième mandat a permis d’accompagner des milieux scolaires désireux de soutenir explicitement le bien-être et la réussite des jeunes en difficulté, et ce, à travers un changement de pratiques significatif. D’ailleurs, c’est avec fierté que ces accompagnements ont mené à l’élaboration du Modèle dynamique de changement accompagné pour le bien-être et la réussite de tous[1]. Ce modèle rend compte des étapes clés inhérentes au processus de changement en contexte scolaire tout en y juxtaposant une série de conditions favorables à l’émergence de pratiques scolaires renouvelées pour répondre à la diversité des élèves. Son utilisation contribue à la mise en œuvre d’un processus de changement par les milieux scolaires désireux de s’investir pour faire de leur école un milieu qui contribue efficacement au développement du plein potentiel de tous.
CONSTRUIRE AU FIL DES ANNÉES
Riche de ses nombreuses années de recherche en contexte scolaire pancanadien, la Chaire de recherche Normand-Maurice, qui se consacre toujours au changement en contexte scolaire et à la participation citoyenne des jeunes non diplômés, constate que les connaissances issues de la recherche demeurent peu utilisées en éducation. Pourtant, les stratégies de soutien à leur utilisation – dont leur adaptation en format vulgarisé et synthétisé – influencent l’expertise que les acteurs scolaires développent, une expertise nécessaire au bien-être et à la réussite en contexte de diversité. C’est pourquoi la Chaire se donne comme défi, dans le cadre de son troisième mandat, de contribuer de façon significative à la valorisation des connaissances issues de la recherche en concertation avec les acteurs de terrain.
Sa mission demeure la même :
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Soutenir le changement en contexte scolaire pour le bien-être et la réussite de tous;
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Soutenir les élèves qui vivent difficilement l’école et qui souhaitent devenir acteurs de leur réussite.
C’est à travers une série de trois axes que sa mission sera actualisée :
Axe1 : Les écoles en changement
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Développer une articulation plus nuancée du Modèle dynamique de changement et assurer la valorisation de ce modèle à travers la création d’un document vulgarisé, synthétisé et applicable dans différents contextes contribuant à l’émergence ou à la maîtrise de pratiques pédagogiques ou organisationnelles efficaces auprès des jeunes ayant des défis scolaires importants.
Axe 2 : Le potentiel caché des personnes non diplômées
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Identifier les profils des personnes non diplômées qui exercent une participation citoyenne ou professionnelle significative, pour ensuite créer un outil de sensibilisation accessible aux milieux scolaires et communautaires de même qu’aux jeunes de 16 à 24 ans confrontés à l’échec scolaire malgré les efforts déployés. L’outil développé contribuera à la sensibilisation des acteurs scolaires et communautaires quant au potentiel caché des personnes non diplômées, de même qu’aux possibilités qui peuvent s’offrir aux jeunes moyennant le développement de certaines compétences et attitudes.
Axe 3 : Le Réseau de recherche et de valorisation de la recherche pour le bien-être et la réussite en contexte de diversité (RÉVERBÈRE)
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Constituer un réseau pancanadien de recherche et de valorisation de la recherche ayant comme finalité le développement et la mise en place de stratégies de mobilisation de connaissances favorisant l’utilisation des connaissances issues de la recherche à travers une structure collaborative entre partenaires de l’éducation et chercheurs multisectoriels et multidisciplinaires. Le Réseau contribuera à : 1) identifier les principaux constats de recherche en matière de bien-être et de réussite; 2) produire des connaissances vulgarisées, synthétisées et adaptées aux contextes des utilisateurs en recourant aux principes de la recherche-développement; et 3) faciliter l’accès aux connaissances issues de la recherche sur le bien-être et la réussite en contexte de diversité chez les acteurs de l’éducation.
En cohérence avec la mission de la Chaire, notre représentation du changement en milieu scolaire se traduit comme suit :
Le changement en milieu scolaire est unique à chaque milieu.
Il peut prendre différentes formes.
Il peut englober des modifications petites ou grandes à différents niveaux (organisation, pédagogie, évaluation, diagnostic, participation communautaire, dépistage, etc.)
qui obligent à la participation et à la concertation de tous les acteurs scolaires.
Le changement résulte d’une action planifiée et responsable.
Il ne se mesure pas entre écoles, mais plutôt entre la situation initiale et la situation finale engendrée par le changement.
et notre représentation d’élèves actifs dans leur réussite se traduit ainsi :
Les élèves acteurs de leur réussite sont caractérisés par leur capacité à adopter des comportements autodéterminés, et cela, malgré les difficultés scolaires rencontrées. Pour ce faire, ils doivent posséder une bonne connaissance de soi (caractéristiques personnelles, professionnelles et environnementales).
Les comportements autodéterminés favorisent l’autonomie, le sentiment de pouvoir agir et l’exercice du libre choix en matière scolaire (orientation scolaire, participation à la prise de décisions, etc.). Il s’agit là d’ingrédients associés à la persévérance scolaire.
Hommage à Normand-Maurice :
UN GRAND PÉDAGOGUE
Antoine Baby, sociologue et auteur de « Pédagogie des poqués », publié aux Presses de l'Université du Québec.
Normand Maurice est décédé le 31 décembre 2004 à l'âge de 58 ans. Le Québec a perdu un grand pédagogue. On a souligné à juste titre sa contribution exceptionnelle au développement durable par le biais de la récupération et du recyclage des matières résiduelles. On a dit de lui qu'il était le père de la récupération au Québec. Mais son apport au développement d'une pédagogie adaptée aux besoins des élèves laissé-pour-compte du système scolaire, n'est pas moins remarquable. En ce sens, il n'est pas exagéré de dire qu'il est mort au combat, le combat sans merci et sans compromis pour la dignité des jeunes que la vie n'a pas choyés.
Ceux qu'il appelait avec beaucoup de respect «les rebuts du système scolaire» et avec qui il avait fait le pari de recycler par le truchement des activités de récupération ! Après avoir conduit avec succès l'expérience des «ateliers de culture», dont l'objectif était de mieux rejoindre et d'intéresser les élèves de l'enseignement professionnel aux matières plus abstraites de formation générale, ses camarades de la Polyvalente le Boisé de Victoriaville et lui ont mis sur pied le premier Centre de formation en entreprise et récupération (CFER) en 1990.
Dans le système scolaire québécois, le CFER est un cheminement particulier d'insertion sociale et professionnelle (ISPJ) destiné à des élèves de 16 ans et plus qui connaissent un retard scolaire pratiquement irrattrapable. La caractéristique principale du CFER comme cheminement ISPJ est d'intégrer à l'école l'entreprise dans laquelle les élèves font leurs stages de préparation à l'exercice de fonctions de travail de faible niveau de qualification. La formation en entreprise, tout comme la formation proprement scolaire, est assumée de façon intégrée par les mêmes enseignants réunis en équipe et fonctionnant dans l'optique dite de la « tâche globale ». Il existe aujourd'hui 17 CFER répartis sur le territoire québécois. Chaque CFER a donc son entreprise, son école-usine dont l'activité principale en est une de récupération dans la perspective du développement durable. On y fait donc, selon le cas, la récupération des ordinateurs, du mobilier scolaire, des palettes de transport, de la quincaillerie électrique de l'Hydro-Québec, de la peinture, du papier et du carton. Avec ses camarades de la première heure, Normand Maurice a marqué de façon très particulière le développement d'une pédagogie originale propre aux CFER. Pour peu qu'on s'arrête à étudier cette expérience originale, on remarque qu'il y a laissé l'empreinte des principales caractéristiques de sa personnalité. Normand Maurice était un être paradoxal au sens le plus fort du terme. Au premier abord, il n'annonçait pas toujours ce qu'il était. Et surtout, il n'était pas toujours ce qu'il annonçait. Le ton facilement bourru, la riposte parfois cinglante, le sens de la réplique péremptoire, un goût du paradoxe qu'il lui arrivait de pousser jusqu'à l'absurde, toutes autant de dispositions personnelles qui pouvaient à l'occasion déconcerter, voire intimider l'interlocuteur d'une première rencontre. Il croyait, et comment, aux vertus didactiques du paradoxe.
S'il était capable d'être catégorique, voire « fendant », il fallait peu de temps pour découvrir et apprécier par-delà les apparences son côté sensible, ouvert et conciliant. Il était capable d'une écoute étonnante. Doté d'une personnalité charismatique et flamboyante, cela ne l'empêchait pas d'être altruiste et modeste, n'utilisant son ascendant très fort que pour les causes dans lesquelles il croyait, jamais pour en tirer des avantages personnels. Ce n'était souvent qu'au hasard des rencontres subséquentes que se révélaient de riches qualités d'écoute, d'affabilité, de sensibilité aux autres, de sens de l'humour, de cordialité, de solidarité et d'engagement. Jamais complaisant, toujours compatissant, tel était le pédagogue Normand Maurice.
La pédagogie de Normand Maurice que j'ai eu l'occasion d'étudier de manière approfondie était, à l'image de l'homme, paradoxale. Le propos pédagogique était d'entrée de jeu traditionnel, autoritaire et conservateur. Comme pour contrer les propos lénifiants des pédagogies de complaisance, il lui fallait vanter rapidement les vertus de l'obéissance, de l'ordre, de la discipline et du respect de l'autorité. Contre toute attente, ce type de pédagogie que les paradigmes pédagogiques dominants dénoncent comme attentatoire aux droits et libertés de l'enfant-roi, avait des effets émancipateurs chez ce type d'élèves auxquels il redonnait une confiance en soi perdue dans les couloirs et les dédales de la polyvalente. Même autoritaire, la pédagogie céférienne, loin d'écraser l'élève, lui révèle au contraire qu'il vaut la peine qu'on soit exigeant avec lui.
En entrevue, des élèves me racontaient que, depuis qu'ils étaient au CFER, ils avaient le sentiment de renaître tout simplement parce que les professeurs prenaient le temps de regarder leurs travaux et de les commenter sans complaisance, ce qu'on ne faisait plus avec eux depuis quelque temps déjà à la polyvalente où ils ne valaient souvent même plus une remontrance. « Si les profs du CFER sont exigeants avec moi, me disait l'un d'eux, ça doit être parce que je suis capable de faire la job ! » Mais là ne s'arrêtent pas les effets bénéfiques de cette pédagogie paradoxale.
Outre le fait de redonner confiance à ces « poqués de la vie » et du système scolaire, la pédagogie du CFER les invite aussi à quitter le monde des illusions dans lequel se réfugient trop souvent les laissés-pour-compte et à faire des projets d'avenir réalistes, à la mesure de leurs réelles capacités redécouvertes et assumées. Je pense à ces élèves reçus en entrevue qui, à 16 ans, n'avaient pas l'équivalent d'un cours primaire réussi et qui, avant d'entrer au CFER, rêvaient de devenir qui pilote de chasse, qui notaire, qui paléontologue ! Au sortir du CFER, ces mêmes élèves songeaient à devenir l'un préposé aux pièces dans un grand atelier, l'autre préposé au recyclage dans une usine et le troisième préposé à la collecte sur un camion de recyclage. Et, comble du paradoxe, ils envisageaient tous les trois l'avenir avec plus d'optimisme que du temps où ils se berçaient d'illusions.Cette expérience pédagogique qui dure depuis près de quinze ans témoigne de la capacité des enseignants de l'école publique d'innover et, peut-être davantage, de leur attachement aux élèves mis en difficulté par une école débordée parce que devenue avec le temps le site d'enfouissement sanitaire par excellence de tous les problèmes de la société. En ce sens, le Québec doit beaucoup à des pédagogues comme Normand Maurice.